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Réserve héréditaire : vers une évolution du droit positif ?

Civil - Personnes et famille/patrimoine
17/04/2019
La Chancellerie a constitué un groupe de travail pluridisciplinaire aux fins de réfléchir à une éventuelle évolution du régime juridique de la réserve héréditaire.
Un député, M. Eliaou, interrogeait la ministre de la Justice sur la « potentielle menace » de l'article 924-4 du Code civil (Rép. min. à QE n ° 18076, JOAN Q. 9 avr. 2019, p. 3297). Il y rappelait que le notaire a pour mission d'éclairer les parties des actes qu'il dresse et d'attirer leur attention sur les risques qu'ils comportent, sous peine de voir sa responsabilité professionnelle engagée. Il doit donc notamment les informer sur les risques d'action en réduction ou en revendication. Or, la clientèle des études, est souvent peu familière à ces notions de réserve héréditaire et de réduction. Il demandait donc à la Chancellerie quelle mesure elle envisageait de prendre afin de préserver la sécurité juridique du tiers acquéreur.

Dans sa réponse, la garde des Sceaux après avoir indiqué que l'alinéa 2 de l'article 924-4 précité « réalise un compromis entre, d'une part, la sécurité juridique légitimement attendue d'un contrat opérant un transfert de propriété d'un bien et, d'autre part, le caractère effectif de la sanction de l'atteinte à la réserve et de la contrepartie accordée aux héritiers réservataires qui ont vu leur réserve injustement amputée », a annoncé la création d’un groupe de travail pluridisciplinaire chargé d'examiner cette question de la réserve héréditaire.

Un débat récurrent autour de la réserve héréditaire
La problématique de la réserve héréditaire revient régulièrement sur le devant de la scène, que ce soit par le biais des questions écrites du gouvernement par les parlementaires ou de sollicitations de certains acteurs du monde philanthropique. Sujet au centre également d’un rapport de l’inspection générale des finances déposées au mois d’avril 2017, intitulé « Le rôle économique des fondations » (IGF, Le rôle économique des fondations, avr. 2017) et d’un amendement parlementaire d’appel déposé lors des discussions sur le projet de loi « PACTE ».

Cet amendement visait à entamer une discussion sur l’abaissement/exclusion de la réserve héréditaire afin de favoriser les libéralités au profit du fonds de pérennité économique créé par ce projet de loi. Un amendement déposé par un député de la majorité (TA AN n° 1237, 2018-2019, amendement n° 1807 : cet amendement proposait de ne pas soumettre l’apport des titres ou des parts sociales lors de la constitution aux règles de la réserve héréditaire et de déroger aux possibilités offertes aux héritiers d’exercer leur action en réduction), par la suite retiré avec un engagement du Gouvernement d’entamer une réflexion sur le sujet de façon plus générale. Légiférer en la matière revient, en effet, pour la Chancellerie nécessairement à s’interroger sur la conception française du patrimoine, ce qui requiert une expertise juridique sur les pistes d’évolution possible.

Pour Nicole Belloubet, le débat politique prenant en compte les enjeux de protection et solidarité familiales et de pacification des conflits successoraux doit, en effet, se doubler d’une analyse juridique précise au regard du cadre constitutionnel relatif au droit de propriété et du principe d’égalité devant la loi. Ce qui explique la constitution d’un groupe de travail dédié sous son égide.

Enjeux et missions de ce groupe de travail
La direction de ce nouveau groupe a été confiée à une universitaire et un notaire, à savoir :
  • Cécile Pérès, professeur de droit privé à l’Université de Paris II et membre du laboratoire de sociologie juridique ;
  • Philippe Potentier, notaire à Louviers et directeur de l’institut d’études juridiques du Conseil supérieur du Notariat.
En pratique, ce groupe devra dresser des états des lieux :
  • sur ce que permet aujourd’hui notre droit patrimonial en termes de transmissions au-delà de la quotité disponible ;
  • sur ce qui se pratique en dehors de nos frontières.
Avec pour objectif de :
  • dessiner les évolutions qui pourraient être envisagées ;
  • préparer de futurs travaux parlementaires.
Côté méthode, comme pour le groupe d’étude sur le filtrage des pourvois installé en décembre dernier (v. Pourvoi en cassation : la ministre de la Justice installe une commission de réflexion, Actualités du droit, 21 déc. 2018), des auditions de diverses personnalités (juristes, philosophes, économistes, sociologues, etc.) seront menées.

Un pré-rapport devrait ensuite être rédigé fin juin, avant un rapport définitif prévu en octobre prochain.

Une mission parlementaire pourrait ensuite s’appuyer sur ces travaux pour rechercher des solutions favorisant les dons et proposer une orientation, plus politique, sur le sujet.
Source : Actualités du droit