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Vincent Lambert : le Conseil d’État et la CEDH approuvent la décision médicale d'interruption des traitements

Civil - Personnes et famille/patrimoine
25/04/2019
Le 24 avril 2019, le Conseil d’État juge légale la décision d’interrompre les traitements ; le 30 avril, la CEDH refuse de suspendre l'éxecution de la décision du Conseil d’État.
Les faits de l’espèce sont connus : le 11 janvier 2014, le médecin en charge du patient au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims avait pris la décision de mettre fin à son alimentation et à son hydratation artificielles. Cette décision avait été jugée légale par une décision du Conseil d’État du 24 juin 2014, rendue après expertise médicale (voir Cheynet de Beaupré A., Droit de vie ou de mort, RJPF 2014-7•8/1). Par un arrêt du 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a ensuite jugé qu’il n’y aurait pas violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’État (CEDH, gde ch., 5 juin 2015, aff. 46043/14, Lambert et a. c/ France, RJPF 2015 7•8/15, Corpart I.).
Cette décision n’a toutefois pu être mise en œuvre dès lors que le médecin en charge du patient avait entretemps changé.
Le 22 septembre 2017, le nouveau médecin en charge du patient a informé la famille de ce dernier de sa décision d’engager une nouvelle procédure collégiale. Au terme de celle-ci, ce médecin a, le 9 avril 2018, pris la décision d’arrêter les traitements de nutrition et d’hydratation artificielles du patient, en accompagnant l’arrêt de ce traitement d’une sédation profonde et continue. Plusieurs membres de sa famille ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en lui demandant, notamment, la suspension de cette décision. Après avoir diligenté une expertise supplémentaire, ce juge, par une ordonnance du 31 janvier 2019, a rejeté la requête. Cette ordonnance a été contestée, en appel, devant le Conseil d’État.

Par une décision du 24 avril 2019, le Conseil d’État n’a pas accueilli la requête dont il était saisi. Dans son ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État commence par rappeler qu’il doit exercer un office particulier s’agissant d’une décision d’arrêt de traitement.
En principe, le juge du référé-liberté, qui se prononce dans un très bref délai, ne peut faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale que lorsqu’elle est manifestement illégale. Toutefois, s’agissant de la décision d’interrompre ou de ne pas entreprendre un traitement au motif qu’il traduirait une obstination déraisonnable, dont l’exécution porte atteinte à la vie de manière irréversible, le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde dès lors qu’il estime que cette décision ne relève pas des hypothèses prévues par la loi.
Le juge des référés du Conseil d’État examine ensuite si les conditions posées par la loi pour interrompre les traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté étaient remplies. Il se place ce faisant dans le prolongement de sa jurisprudence, qui prévoit que le médecin en charge doit mettre en œuvre une procédure collégiale et se fonder sur un ensemble d’éléments médicaux et non médicaux, dont le poids respectif dépend des circonstances particulières à chaque patient.
En l’espèce, il estime tout d’abord que la procédure collégiale préalable à l’adoption de la décision litigieuse n’est entachée d’aucune irrégularité. Il apprécie, ensuite, les éléments ayant justifié la décision litigieuse.
D’une part, s’agissant des éléments médicaux, le juge des référés rappelle que, dans sa décision rendue en 2014 à la suite d’une expertise confiée à un collège d’experts, le Conseil d’État avait jugé que l’état clinique du patient correspondait à un état végétatif, que les lésions cérébrales, graves et étendues qui avaient été constatées étaient irréversibles et que ces éléments constituaient des éléments indicateurs d’un pronostic clinique négatif. Il relève que d’autres examens réalisés, en 2015 et 2017, par deux médecins spécialistes en neurologie, ont conduit à confirmer que le patient présentait un état végétatif chronique de profondeur stable depuis 2014. Il fait également état de ce que, dans le cadre de la présente instruction, une nouvelle expertise a été conduite, qui ont confirmé que l’état végétatif du patient était comparable cliniquement à celui constaté en 2014, à l’exception « d’éléments minimes d’aggravation ». 
D’autre part, s’agissant des éléments non-médicaux, le juge des référés rappelle que, dans cette même décision rendue en 2014, le Conseil d’État avait jugé qu’en estimant que le patient n’aurait pas voulu vivre dans de telles conditions, le médecin alors en charge de la procédure collégiale n’avait pas inexactement interprété les souhaits manifestés par le patient avant son accident. En l’absence d’éléments nouveaux qui viendraient contredire cette intention, le juge des référés du Conseil d’État estime que le médecin a pu, au regard du cadre juridique applicable, attacher une importance toute particulière à la volonté ainsi manifestée par le patient avant son accident.
Le juge des référés du Conseil d’État en déduit qu’étaient réunies les différentes conditions exigées par la loi pour que la décision d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles du patient, en accompagnant l’arrêt de ce traitement d’une sédation profonde et continue, puisse être prise par le médecin en charge du patient. En conséquence, il juge que cette décision ne peut être tenue pour illégale.

Les parents, la soeur et un demi-frère du patient ont alors saisi en urgence la CEDH d'une demande de mesure provosoire afin d'indiquer à l'État français de suspendre l'exécution de la décision d'autoriser l'arrêt des traitements. Ils demandaient également que soit prononcée une interdiction du territoire pour le patient.
Le 30 avrill, la CEDH rejette cette requête rappelant qu'en 2015, la Grande chambre a dans cette affaire déjà conclu qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention européenne en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d’État d'autoriser l'arrêt des traitements.

Seule la demande de mesures provisoires est à ce stade rejettée par la CEDH, reste dès lors à la Cour à statuer sur la requête au fond. En outre, les requérants ont indiqué avoir saisi le Comité des droits des personnes handicapées.
 
Source : Actualités du droit