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Le principe de loyauté dans la recherche de la preuve dans le procès civil et le procès pénal

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
Pénal - Droit pénal spécial
27/08/2019
La 5e rencontre de la cour d'appel de Paris et de la Faculté de droit de Sceaux a eu lieu le 20 juin 2019 à la cour d'appel de Paris autour du principe de loyauté de la preuve. 
L’énoncé de l’objet de notre réunion associe la notion de loyauté à celle de principe.
Mme Matsopoulou a prononcé un plaidoyer énergique en faveur de leur mariage : non seulement l’obligation de loyauté dans la recherche de la preuve existe, mais elle doit être érigée au rang des principes du procès.

Pourtant, un doute a effleuré notre assemblée. Mme Matsopolulou elle-même a confessé que la loyauté ne pouvait pas être définie, et que son étymologie renvoyait à la légalité, notion beaucoup plus étroite. Et surtout, chaque fois qu’elle est invoquée en pratique, elle est évincée au profit par une notion plus sûre : M. Vasseur a ainsi évoqué la sincérité des agents de l’autorité,  les droits de la défense et la protection de la vie privée. Des investigations conduites dans le procès civil, Mme Matsopoulou a pertinemment rapproché les autorisations de visites et saisies délivrées par le juge de la liberté et de la détention à la demande de l’Autorité de la Concurrence (art. L 450-5 C. com.) ou de l’administration fiscale (art. L 16 B LPF). Or, à l’occasion d’une enquête de l’Autorité de la concurrence, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé ceci : « Si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal à l'égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être écartés du débat et ainsi privés de toute vertu probante par la seule application d'un principe énoncé abstraitement, mais seulement s'il est avéré que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe de la contradiction et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés » (Ass. plén. 7 janv. 2011, n° 09-14.316, 09-14.667). Un peu plus tard, la chambre commerciale a osé dire : «  L’auteur d'un rapport mentionnant les résultats des enquêtes et des contrôles et indiquant les faits relevés susceptibles de constituer des manquements au règlement général de l'AMF ou une infraction pénale, n'est pas tenu de satisfaire aux exigences d'impartialité et d'indépendance applicables aux autorités de jugement » (Cass. com. 29 janv. 2013, n° 11-27.333). 
 
La loyauté a paru redorer son blason avec l’exposé de MM. Boucobza et Serinet, relatif à l’arbitrage, mais on pourrait tout aussi bien expliquer ses succès par la bonne foi contractuelle car l’arbitrage, à la différence du procès public, repose sur un compromis qui engage les parties l’une envers l’autre. Son éclat s’est encore accru avec la présentation, par Me Chemla, de la nouvelle chambre internationale, dont la procédure remédie à la faiblesse de l’instruction civile par l’importation des institutions anglo-normande. Mais M. Boucobza a refroidi notre enthousiasme en enseignant que le principe de loyauté n’avait qu’une place très réduite en la matière.

Si la loyauté à l’état pur n’apparaît pas comme une obligation positive, en revanche les exemples de déloyauté abondent : écartons l’action en concurrence déloyale et la révocation déloyale d’un gérant de SARL, qui relèvent du droit substantiel. Mais dans le sujet de la recherche des preuves qui est le nôtre, on connaît bien les antiques ruses et stratagèmes des juges d’instruction et des officiers de police judiciaire dont Mme Matsopoulou a donné des exemples. On en trouve encore dans la recherche des preuves informatiques traitées par Mme Quéméner qui a toutefois observé que de nombreux procédés déloyaux,  pudiquement dénommés « techniques spéciales d’enquête », ont été abondamment légalisés par des lois récentes, en partie recueillies dans le Code de la sécurité intérieure et non dans le Code de procédure pénale . Et, en dehors de ces cas, la procédés de recherche de preuves informatiques qui pourrait être qualifiée de déloyaux sont de préférence sanctionnés comme des violations du droit à la vie privée ou comme des contraventions à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978 et à la loi du 20 juin 2018 instituant le Règlement général de protection des données personnelles pour transposer des textes de l’Union européenne. La jurisprudence de la chambre sociale est une source abondante, à propos de la surveillance des ordinateurs personnels des salariés soupçonnées d’en détourner l’usage pour consulter, par exemple des sites pornographiques (Soc. 3 oct. 2018, n° 17-13.089).

La difficulté que nous avons rencontrée vient de ce que la loyauté, obligation positive, d’une part, et son contraire, le mensonge et la ruse, d’autre part, ne sont pas adjacents ou jointifs comme deux nations voisines et ennemies. Ils sont séparés par une zone incertaine de non-déloyauté dans laquelle prospèrent des pratiques douteuses les unes tolérées et les autres pas. Ainsi, Mme Matsopoulou a décrit les « provocations passives » ou « provocations à la preuve » qui seraient licites au contraire des provocations actives : elle a évoqué à ce propos l’affaire célèbre du chantage exercé contre le Roi du Maroc, dont les nombreux rebondissements montre la fragilité de la distinction. Les fonctionnaires privés du droit d’accès dans les domiciles, les photographient ou les observent à la jumelle depuis la voie publique. M. Vasseur a cité le cas de l’irrecevabilité de la preuve par des photographies prises depuis un drone, mais c’était en matière civile et il y avait intrusion dans l’espace surplombant la propriété, qui appartient aussi au maître des lieux. Le cas des fichiers bancaires volés en Suisse et remis au fisc français a donné lieu à une subtile casuistique : l'Administration ne peut pas les produire à l'appui d'une demande d'autorisation de visite domiciliaire présentée au juge des libertés et de la détention. Elle ne doit pas non plus les voler et encore moins les fabriquer. Mais, si elle en a acquis la connaissance en exerçant légalement son droit de contrôle, elle peut s'en servir pour établir l'impôt : l’administration ne peut pas voler ou se rendre complice de vol, mais elle peut receler l’objet de ce délit. (Cons. const., déc. 4 déc. 2013, n° 2013-679 ; Cass. crim., 27 nov. 2013, n° 13-85.042)

La distinction entre le tolérable et l’interdit rappelle celle du bon et du mauvais chasseur dans un célèbre sketch des Inconnus. M. Vasseur a renforcé le soupçon de l’existence de cette zone intermédiaire en remarquant que « dans la déloyauté se trouve l’idée que l’on a pris son adversaire par surprise, là où il ne s’y attendait pas » et il ajoutait aussitôt que c’est précisément ce que font les juges : « Pourquoi l’enregistrement d’une conversation téléphonique est-il déloyal alors qu’une perquisition civile menée au petit matin par un huissier de justice ne l’est pas ? Simplement parce que le juge l’a ordonnée dans le second cas ? Une action ne devient pas morale par le seul fait qu’elle est autorisée par une autorité, fût-elle judiciaire ».
 
Cette pertinente remarque permet que nous ne séparions pas sur un échec, même s’il faut substituer la non-déloyauté à la loyauté comme notion opérationnelle. Nos débats ont montré que la division pertinente opposait les parties, d’une part, à l’autorité publique, d’autre part, celle-ci entendue largement comme englobant les juges, arbitres, OPJ et agents investigateurs de diverses administrations ou autorités administratives indépendantes. La tolérance dans la pratique de la non-déloyauté n’est pas la même.
 
Les parties peuvent être un peu, beaucoup, passablement ou pas du tout non loyales, selon la nature de l’instance dans laquelle elles sont engagées.

Au pénal, il est entendu que les personnes poursuivies peuvent mentir effrontément : c’est même un droit de l’homme. Leurs avocats aussi, au moins en France, car aux Etats-Unis, le mensonge leur est interdit : c’est pourquoi ils se gardent de recueillir les aveux de leurs clients de peur d’apprendre qu’ils sont coupables. Mais dans ce même pays, les policiers peuvent recourir à des ruses et artifices car ils sont fictivement censés agir comme des citoyens zélés et non comme des autorités publiques dépendant du pouvoir judiciaire : ainsi, le lieutenant Colombo fabrique-t-il souvent de faux indices que les suspects s’empressent, devant des témoins spécialement convoqués par lui, de détruire, avouant ainsi leur crime. Telles sont les beautés de la procédure contradictoire anglo-normande dont on nous rebat les oreilles depuis Voltaire. Mais cela s’explique par le fait que le régime des preuves devant les juridictions de jugement, la « law of evidence », est beaucoup plus restrictif que ne l’est notre très approximative intime conviction.

Quant aux parties civiles, elles peuvent, devant les juridictions pénales, utiliser des preuves obtenues déloyalement, selon une jurisprudence qui considère que ce ne sont pas des actes d’instruction susceptibles d’être annulés. Cette solution ne cesse pas de scandaliser et que vous avez réitéré les critiques qu’elle inspire ; Mme Quéméner a bien voulu dire qu’elle permettait de remédier à l’inégalité entre la puissance publique et les particuliers.
           
Au civil, les parties peuvent mentir, mais seulement par omission et on leur interdit les procédés déloyaux. Aux Etats-Unis s’applique l’énergique procédure de la discovery dont Me Chemla a dit qu’elle sera en vigueur, mais sans ses inconvénients, devant les chambres internationales du tribunal de commerce et de la cour d’appel..
  
Les enquêteurs, juges et arbitres doivent, au moins pour le respect de leurs fonctions et de l’habit que certains portent, se montrer moins non loyaux que les parties, mais au bénéfice de certaines distinctions.

Au pénal, l’enquête est moins loyale que l’instruction, qu’il s’agisse de l’enquête pénale proprement dite ou de celle des fonctionnaires ou agents des AAI. Les omissions volontaires des enquêteurs (français mais pas américains) ne sont pas non déloyales :  par exemple, n’a pas été annulée la visite d’agents de l’AMF qui n’avaient pas révélé, au JLD, la totalité de leurs sources d’information (Cass. com. 1er mars 2011, n° 09-71.252). De toutes façons les autorités publiques n’ont guère besoin de ruser tant leurs prérogatives puissantes avec le recours à la force publique ou la menace de sanctions pénales contre les citoyens récalcitrants.
En revanche, au cours des phases d’instruction puis de jugement, la non-déloyauté s’impose, mais comme conséquence du principe du contradictoire et du respect des droits de la défense.

Les exposés de M. Vasseur et de Me Chemla ont montré que, malgré des dispositions nombreuses du Code de procédure civile, l’ancien et le nouveau, l’instruction civile n’a jamais prospéré en France. Et quand la loi du 5 juillet 1972 introduisit, dans l’article 10 du Code civil, l’obligation « d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », ce fut pour sauver l’article 11 du décret du 9 septembre 1971, le futur art. 11 du CPC, qui dit la même chose mais fit l’objet d’un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État au motif qu’en plus il conférait au juge le pouvoir d’ordonner des communications de pièce en assortissant son injonction de la menace d’une astreinte.  Ce recours révélait l’hostilité française à l’instruction civile. Quant à l’article 145 du CPC, il  ne remonte qu’au décret du 17 décembre 1973, dont l’objet était de lutter contre une pratique ancienne et jugée abusive de l’ordonnance sur requête, développée par M. Vasseur. L’instruction civile appelée de ses vœux par Me Chemla, prend donc tournure, mais le juge qui en est chargé doit se conduire davantage comme un juge d’instruction, obligé de respecter le principe du contradictoire, que comme le procureur en charge d’une enquête pénale : et encore une fois, le principe du contradictoire fait de l’ombre à la loyauté.
 
M. Sourioux définit le principe comme « une directive unique dont la substance doit se retrouver dans toutes les règles de droit [qu'elle] inspire » (J.-L. Sourioux, Introduction au droit : PUF 1987, n° 42). La loyauté mérite-t-elle d’être hissée à cette dignité ? Elle constitue plutôt un « objectif » dont la valeur n’est pas constitutionnelle ni même supranationale puisqu’elle n’est pas consacrée par la CEDH. On pourrait donc la comparer à la sécurité routière ou la santé publique, qui justifient le caractère expéditif de certaines procédures ou règles substantielles. La poursuite des « objectifs » est un idéal vers lequel doit tendre le droit, sauf à l’offenser souvent par des moyens proportionnés mis au services d’autres intérêts.
 
Source : Actualités du droit